- PRIVATISATION
- PRIVATISATIONPRIVATISATIÀ l’issue des élections législatives du mois de mars 1993, la France inaugurait pour la seconde fois une période de cohabitation entre un président de la République socialiste et une majorité parlementaire R.P.R.-U.D.F. Comme en 1986, le nouveau gouvernement, dirigé par Édouard Balladur, élaborait, dès son installation, un vaste projet de privatisations appelé à se réaliser sur la durée de la législature. Au-delà des montants financiers en cause, l’enjeu de l’opération conservait toute sa dimension symbolique, et cela d’autant plus que les privatisations constituaient, en matière de politique économique, le seul véritable changement par rapport aux orientations défendues par Pierre Bérégovoy.En 1981, lorsque la gauche est arrivée au pouvoir en France, l’idée même de nationalisation, placée au cœur de son programme électoral, semblait déjà anachronique dans une large majorité des pays à économie de marché. Rapidement, les nouveaux responsables purent constater que leur liberté d’agir à contre-courant, dans un pays dont l’économie se trouvait de plus en plus ouverte au monde, était très limitée. Dès 1983, ils firent donc l’apprentissage de la rigueur budgétaire et salariale. Abandonnant certains de leurs dogmes les plus chers, ils gardèrent cependant plus longtemps la conviction qu’il était nécessaire de préserver un large secteur financier, industriel et commercial contrôlé par l’État.Au début de 1993, l’État contrôlait directement cent cinq entreprises françaises (2 750 en incluant les filiales et sous-filiales). Fort de 1 737 000 salariés en métropole (et de plus de 2 millions en incluant les filiales étrangères), le secteur public français était le plus important au sein de l’Union européenne. Il représentait alors 11,5 p. 100 des effectifs salariés des secteurs marchands non agricoles, derrière la Grèce et le Portugal. Cette situation ne résultait pas seulement de la persistance d’une gauche rendue particulièrement dogmatique pour avoir été écartée pendant très longtemps du pouvoir. Il existe aussi une tradition française spécifique d’économie mixte, mi-publique, mi-privée, où le dialogue entre les représentants des intérêts économiques et sociaux et l’État était permanent.S’inscrivant dans un mouvement mondial de libéralisation et de déréglementation, la loi française de 1993 réactive le processus de privatisations mis en œuvre en 1986 par le gouvernement de Jacques Chirac, dont Édouard Balladur était ministre de l’Économie et des Finances.Ce premier programme, équivalant à plus de quatre fois ce que le gouvernement britannique avait mis sur le marché entre 1979 et 1986, avait prévu le passage au secteur privé de vingt-sept groupes. Sur ce total, treize sociétés purent être privatisées. Parmi les plus importantes figuraient Saint-Gobain, la Compagnie générale d’électricité (future Alcatel-Alsthom), la Société générale, Paribas, Suez, le Crédit commercial de France, Havas et Matra, auxquelles devait s’ajouter T.F. 1. Les actions de ces sociétés furent vendues en Bourse par une série d’offres publiques de vente, dont le produit encaissé par l’État atteignit 73 milliards de francs.Le krach boursier d’octobre 1987 et le changement de majorité politique en 1988 interrompirent ce programme jusqu’alors mené avec diligence. Réélu président de la République, obtenant une nouvelle majorité parlementaire de gauche après dissolution de l’Assemblée nationale, François Mitterrand préconisa une attitude d’immobilisme: «ni nationalisation, ni privatisation». Voilà qui réduisait la possibilité d’augmenter les fonds propres, souvent insuffisants, de bon nombre d’entreprises publiques. Le «ni-ni» contraignait l’État-actionnaire à imaginer des aménagements. Sans délaisser la classique et coûteuse dotation budgétaire ni la mise sur le marché de certificats d’investissement (actions dépourvues de droit de vote), l’État développa l’«endogamie», une technique de participations croisées au sein des entreprises publiques. Ce procédé aboutissait à une simple réévaluation comptable destinée à améliorer les hauts de bilan des sociétés, sans leur apporter l’argent frais qui leur était souvent nécessaire.La remise en cause du «ni-ni» interviendra en avril 1991, date à laquelle un décret du gouvernement de Michel Rocard autorise les entreprises publiques à ouvrir leur capital à hauteur de 49,9 p. 100 à des actionnaires privés. Trois opérations vont alors s’enchaîner en quelques mois, touchant le Crédit local de France en décembre 1991 (20 p. 100 du capital), Elf Aquitaine en mars 1992 (2,3 p. 100 du capital) et Total en juin 1992, entreprise dans laquelle la part directe de l’État passe de 33,9 à 15 p. 100, rapportant 9 milliards de francs au Trésor public.La majorité nouvelle sortie des urnes en mars 1993 a maintenu l’architecture définie en 1986, avec quelques innovations néanmoins.La Commission de privatisation doit non seulement évaluer les entreprises privatisables pour fixer le prix minimal de l’action, mais aussi choisir les membres des groupes d’actionnaires stables des entreprises privatisées. Le ministre de l’Économie ne peut qu’avaliser son choix pour la formation de «noyaux durs», alors que, en 1986, il décidait presque souverainement (la procédure avait donné lieu à des procès d’intention et à une polémique sur l’«État R.P.R.»).La technique anglo-saxonne du bookbuilding a été introduite pour les tranches institutionnelles: l’émetteur collecte des indications d’achat auprès d’investisseurs potentiels en fonction des hypothèses de prix envisagées; il peut ainsi s’assurer que le prix de l’offre est juste et déterminer la capacité d’absorption du marché.Une autre innovation inspirée des pays anglo-saxons permet aux actionnaires de bénéficier de paiements échelonnés (ne dépassant pas la durée de trois ans), de manière à intéresser davantage les particuliers tout en limitant les risques d’assèchement des marchés.Par ailleurs, les offres publiques de vente peuvent désormais offrir des tranches spécifiques aux investisseurs institutionnels dans des conditions de droit commun. Jusqu’alors, ces derniers risquaient de n’obtenir qu’une part congrue des ordres d’achat qu’ils donnaient, et les particuliers de ne pas être servis en titres au-delà de la priorité que la loi leur accordait.Comme en 1986, le texte de 1993 prévoit l’existence d’«actions spécifiques» pour permettre à l’État de protéger certains intérêts nationaux dans des secteurs d’activité jugés stratégiques. Ces actions donnent droit à la nomination d’un ou deux représentants de l’État au conseil d’administration, sans voix délibérative. Ces administrateurs peuvent toutefois disposer d’un droit de veto contre la cession de certains actifs préalablement répertoriés. Créés par décret, cas par cas, préalablement à la privatisation, les droits attachés aux actions spécifiques sont d’une durée illimitée, à la différence des golden shares de l’époque 1986-1988.En outre, tout dépassement d’un seuil de 5 p. 100 de participation dans le capital d’entreprises œuvrant pour la santé, la sécurité ou la défense nationale est soumis à l’agrément préalable du gouvernement. En revanche, le seuil maximal uniforme de 20 p. 100 pour la cession du capital d’une entreprise à des intérêts étrangers (hors Union européenne), réduit à 10 p. 100 en cas d’instauration d’une action spécifique, a été supprimé.La liste des vingt et une sociétés visées par la loi de 1993 reconduit les entreprises qui restaient à privatiser en 1988 et leur ajoute neuf autres affaires appartenant au secteur concurrentiel. Les premières, passées entre-temps de quatorze à douze par le jeu de prises de contrôle, sont: les A.G.F., le G.A.N., l’U.A.P., Bull, Thomson, la Banque Hervet, le Crédit lyonnais, la B.N.P., Pechiney, Rhône-Poulenc, Elf Aquitaine et la Société marseillaise de crédit. Les nouvelles privatisables sont, quant à elles: Aerospatiale, Air France, la Caisse centrale de réassurance, la Caisse nationale de prévoyance-assurances, Renault, la S.E.I.T.A., la S.N.E.C.M.A. et Usinor-Sacilor. L’ensemble concerne plus de six cent cinquante mille salariés en France et près d’un million dans le monde en incluant le personnel des filiales étrangères. En cas de réalisation complète du programme, la part des effectifs salariés du secteur public serait ramenée à 7 p. 100 du secteur marchand non agricole français. Au total, l’État encaisserait, sur cinq ans, environ 300 milliards de francs en recettes des privatisations, selon une estimation du gouvernement.Les entreprises en situation de monopole (France Télécom, La Poste, E.D.F.-G.D.F., la S.N.C.F., la R.A.T.P., Charbonnages de France, etc.), certaines entreprises œuvrant pour la défense nationale (G.I.A.T. Industries, Dassault-Aviation, la Société nationale des poudres et explosifs) et d’autres affaires spécialisées dans la communication (France 2-France 3 et Radio-France) ont été exclues du programme.• v. 1965; de privatiser♦ Action de privatiser; son résultat. ⇒ dénationalisation. ⊗ CONTR. Étatisation, nationalisation.Contraires :- étatisationprivatisationn. f. ECON Action de privatiser.privatisation [pʀivatizɑsjɔ̃] n. f.ÉTYM. V. 1965; de privatiser, d'après l'anglo-amér. privatization.❖♦ Écon., admin. Action de privatiser, son résultat. || « La privatisation de l'information » (le Nouvel Obs., 18 sept. 1972). || Opérer la privatisation d'un secteur de l'économie. || « La “privatisation” des biens collectifs gratuits représentent pour eux (les citadins les plus pauvres) une forme d'aliénation supplémentaire » (Sciences et Avenir, 1974, no spécial, p. 18).❖CONTR. Étatisation, nationalisation.
Encyclopédie Universelle. 2012.